Quel avenir pour la restauration et hôtellerie ? Entretien avec Jacques Bally, Président du Gault&Millau France
Bonjour Monsieur Bally, merci d’avoir accepté de participer à cet entretien. Pouvez-vous nous présenter le Gault&Millau ?
Bonjour. Le Gault&Millau est un guide gastronomique, mais qui a bien d’autres activités. Au-delà de la notation des restaurants et des chefs, il a pour vocation de faire rayonner le monde de la gastronomie, par exemple au travers de la notation des villes et villages gourmands qui propose des itinéraires gourmands, de la Dotation Jeunes Talents ou encore un programme de labellisation.
Le Gault&Millau a donc un pan d’activités assez large, et il tire sa légitimité de son guide gastronomique.
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Selon vous, qu’est-ce que cette pandémie aura changé pour l’industrie de la restauration ?
Il y a plusieurs éléments à prendre en compte à ce stade. Le premier est que hélas, mais comme dans beaucoup de domaines, il y avait des entreprises en petite santé économique. Bien qu’elles aient été soutenues par des mesures gouvernementales, elles ont disparu ou vont le faire dans les mois à venir. Ce qui est ici vrai pour la restauration, l’est aussi dans d’autres domaines.
Au deuxième plan, il y avait déjà des grandes tendances de changement des comportements des consommateurs et de l’offre. Fondamentalement, je crois que la prise de conscience qui a été accélérée par la pandémie consiste à réadapter son mode de vie. Chez Gault&Millau, nous croyons que le côté proximité, simplicité, humilité, bienveillance et collectivité sont des éléments important pour une nouvelle génération qui a envie de vivre et d’avoir un mode de vie un peu différent du passé. On voit chez les jeunes qu’il y a une volonté de se réunir dans un environnement extrêmement convivial offert par une restauration plutôt simple.
Comment ce changement de consommation pourrait-il se répercuter concrètement ?
On préférera une nourriture de proximité, plus simple, plus conviviale, de partage. L’ensemble du domaine de la sommellerie et pâtisserie étaient déjà impactés par cela avant le COVID, par exemple avec l’apparition des vins Demeter ou natures. Pour ce qui est du sucré, de la pâtisserie, on a vu un mouvement de jeunes chefs qui faisaient la promotion de créations plus légères, plus naturelles ou végétales. L’ensemble de ces actions a été accéléré par le COVID.
Que va-t-il se passer demain ? Je crois qu’on va arriver à un monde, où à mes yeux, ce qu’on appelait le restaurant en disant c’est « 50 ou 100 couverts », sera un nouvel hub d’expériences, de plaisirs épicuriens. Le restaurant deviendra un lieu où on pourra manger assis ou debout au bar, un lieu avec des terrasses, avec du click&collect où on pourra passer réceptionner une commande ou qu’on pourra se faire livrer. Les équipes pourront aussi envoyer un chef chez le consommateur pour de la cuisine à domicile. Il y aura des cours de cuisine et des paniers gourmands – il ne s’agira plus de tout prêt, mais de prêt à cuire.
Evidemment, il existera toujours de grands restaurants classiques qui cartonnent, et qui seront pleins du lundi au dimanche.
Quelles sont les conséquences de ce changement pour le Gault&Millau ?
Parmi les éléments de ce hub gastronomique que sera le restaurant, il y a le click&collect et la livraison. Nous avons lancé Let’s Gault pendant la pandémie pour faire la promotion de cet univers technologique, pour proposer une alternative à de grands opérateurs qui focalisent une partie de leur activité sur une restauration que nous désignerons de quotidienne et de qualité intermédiaire. Nous voulons mettre en avant une restauration de plus grande qualité, que nous consommons peut-être moins régulièrement, mais qui est présente sur le marché, et avec laquelle on peut se faire plaisir. La grande évolution pour le Gault&Millau, c’est qu’à partir de début septembre, avec d’autres partenaires, nous automatiserons Let’s Gault, et on pourra de la sorte passer commande en ligne, et faire perdurer ce système qui a explosé durant le COVID.
Quel sera le rôle de la technologie dans ce nouveau paradigme ?
Elle est fondamentale et incontournable. Prenons la réservation en ligne : elle était déjà bien présente avant la pandémie. Son adoption a été accélérée avec le besoin d’optimisation du nombre de tables et de couverts disponibles, et le renouvellement nécessaire pour l’optimisation des revenus du restaurant. Et là, on parle de backend.
Le frontend va devoir mettre en avant ces tables sur des sites internet. En parallèle, la digitalisation des menus est nécessaire, par exemple sous forme de menu numérique via QR code pour accéder à un menu digital rapidement dans le restaurant.
Dans le cadre du click&collect, de la livraison ou de la vente de paniers gourmands en ligne, la digitalisation des menus permet de vendre et acheter. Elle constitue donc dans ce cas une nécessité pour basculer sur tous les segments de la restauration.
Quand on en est arrivé là, tous les autres outils digitaux comme par exemple le partage de l’addition ou les outils de CRM seront agrégés au travers d’un outil global. Ce dernier ne se doit pas d’être l’éditeur de tous les outils car il vaut mieux qu’il y ait des startups spécialisées par outil. Cela peut néanmoins entraîner un problème de coût pour les restaurateurs si chacun de ces petits services est payant, cependant, la création de valeur qui découle de la digitalisation pour le restaurant est nécessaire.
Où sont les opportunités pour les restaurateurs POST-COVID ?
Vous savez, les opportunités, avant ou après, c’est toujours la même chose. Ce qui font bien leur travail, avec un sourcing produits de qualité qui vous donnent à manger dans de bonnes conditions d’hygiène avec un goût et une expérience qualitative, ce qui nous font rêver, que ce soit en happy hour en bistrot ou gastro, tous ceux-là ont de beaux jours devant eux. On va vouloir retrouver un produit de la fourche à la fourchette, traçable, de qualité et puis surtout proposé dans le respect des circuits-courts. Mais cela a des limites : il existe des zones géographiques qui disposent d’une moins grande production alimentaire, et il faudra également tenir compte de notre envie de consommer quelque chose qui vient de plus loin pour rester éveillé à des saveurs, des couleurs, des textures en mangeant. Il n’y a pas d’intégrisme là-dedans, mais une volonté de rester au coeur d’un territoire, d’un terroir avec cette suffisance alimentaire qui nous permet de respecter la nature, notre planète et notre goût surtout : le goût local, le goût du pays !
Envisagez-vous de nouvelles tendances ou un changement dans le comportement des consommateurs ?
Il va y avoir des modifications et une adaptation au segment, on le voit déjà avec les restaurants gastronomiques. Les restaurants gastronomiques qui étaient les plus grands, avec les brigades les plus importantes et donc en conséquence les coûts les plus élevés avaient une clientèle très souvent internationale, touristique qui manque actuellement du fait de l’absence de voyages. Les établissements de province avec une clientèle de voyage d’affaires et ceux proposant des espaces pour les séminaires vivent une révolution semblable.
Avec le télétravail, on découvre que certains outils technologiques permettent de vivre presque comme si nous étions en face à face. Et donc la restauration va évoluer car le consommateur, sous contrainte ou délibérément, change son comportement dans cette nouvelle réalité. Il y a des centaines de milliers de recettes qui tournent sur internet, des cours de cuisine en ligne avec des chefs, et ceux-ci vont perdurer et se développer. Mais les fondamentaux sont là. Le restaurant reste un lieu créatif où un chef travaille des produits que vous ne seriez pas en mesure de préparer de la sorte chez vous. On ira au restaurant pour vivre une expérience, et faire voyager nos papilles grâce aux créations culinaires. Dans tous les segments de la restauration, on constatera un changement motivé par les nouveaux comportements de la clientèle et les contraintes auxquelles font face les professionnels.
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